Derniers quintils : commentaire à trous

Commentaire à trous

  
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[(Introduction) Paris, célébré par les poètes, depuis Villon et sa Ballade des femmes de Paris jusqu’à Prévert et sa Chanson de la Seine, a servi de cadre à bien des errances et à bien des mélodies, comme si la capitale française avait sa musique si particulière en harmonie avec les états d’âme des artistes. Guillaume Apollinaire, dans La Chanson du mal aimé (1913), déambule aussi dans Paris, en proie au mal d’amour. Amoureux éconduit de Annie Playden, une jeune Anglaise rencontrée en Allemagne, il cherche dans ce décor urbain des résonances avec sa peine et un divertissement contre sa douleur. Comment le poète amoureux associe-t-il dans son poème-chanson le topos du dépit amoureux au thème de l’errance et de la célébration de la ville ? Nous examinerons d’abord son parcours poétique en symbiose avec Paris puis les particularités de son chant d’amour déçu.]

I) Un itinéraire erratique dans un Paris au diapason de l’état d’âme du poète

A) poétique

- Errance, le terme figure dès le quatrième vers : « J’erre à travers mon beau Paris ». L’assonance interne en [εR] souligne encore cette démarche au hasard et sans but.

- Errance poétique, aussi, d’un poème non ponctué, signe de l’abandon des limites, des repères. Le poème, comme le vagabondage parisien, est placé sous le signe de la et du , attributs d’Apollon le dieu grec de la poésie, paronyme d’Apollinaire : « Juin ton ardente lyre ».

- Cette déambulation est cependant équilibrée, tranquille. Les quintils sont réguliers, avec des octosyllabes plus légers que des alexandrins et des rimes alternées. La marche dans la ville a un effet apaisant et inspirant sur le poète.

- Le poète se promène au rythme du temps qui s’écoule lentement comme « Les dimanches s’y ». Cependant, si on observe les premiers mots des trois premières strophes (Juin … Les dimanches … Soirs de Paris), le temps semble s’amenuiser et l’électricité est le nouveau soleil poétique des soirs de Paris : « Juin ton ardente lyre » et « Flambant de l’électricité ».

Cette errance sauve et distrait le poète de sa peine car il trouve dans l’atmosphère et la poésie de la ville moderne un écho à son « mélodieux délire » et un réconfort car il n’a pas « le cœur d’y mourir ». Le poème est lui aussi un chemin à inventer et un moyen de se sauver.

B) Eloge de

- Le possessif affectueux « mon beau Paris » est significatif de l’attachement du poète à la ville et à sa beauté.

- Son Paris lui joue une qui s’accorde avec sa mélancolie : « Les orgues de barbarie y sanglotent » et « Les tramways […] musiquent au long des portées de rails leur folie de machines ». Le néologisme « musiquent » assimilent les tramways, « feux verts sur l’échine », aux notes de musique entraînées sur la portée des rails, comme des vers luisants. Le poète fusionne ainsi les images du monde moderne des machines avec celui de l’art et de la nature : une belle façon de faire entrer la modernité dans le lyrisme traditionnel.

- Cette ville mélange aussi les influences et les nationalités avec l’évocation des « garçons vêtus d’un pagne » qui fait allusion aux spectacles « nègre »1 de la Belle Epoque, les « tziganes » qui sont de partout et de nulle part, l’ avec Pise et jusqu’à l’allusion à l’ de Annie Playden avec « Soirs de Paris ivres de gin ». Ce cosmopolisme de Paris s’accorde bien avec le flou de la nationalité d’Apollinaire (Wilhelm Kostrowitzky) né d’une mère polonaise d’origine noble et d’un père inconnu, peut-être un officier italien. De même, sa rencontre amoureuse avec une Anglaise eut lieu en Allemagne et il est malheureux à Paris.

- L’alcool, le tabac et autres fumeries suggérés par « Soirs de Paris ivres de » et « Les cafés gonflés de » associés à la fête permanente, avec musique tzigane et revues nègre, grisent le poète. Ce Paris de la Belle Epoque fait la fête toute la nuit grâce à la fée Electricité. Sa frénétique joie de vivre est favorisée par le progrès technique et c’est cela que le mal aimé apprécie tant. Paris est devenue la ville Lumière.

NB : Le cake walk, l’une des sources du JAZZ, traverse l’Atlantique et connaît le succès dans la capitale. Il est présenté au NOUVEAU CIRQUE par les célèbres ELKS, danseurs américains. Dans le même lieu triomphe, en 1902, la revue : "Les Joyeux Nègres" et se produit, en 1903, John Philip SOUSA « Roi des marches américaines et du cake walk » qui a déjà fait entendre ces rythmes et sons nouveaux aux visiteurs de l’Exposition Universelle de Paris en 1900.

Paris est donc porteur de vie, de diversité et d’animation. Cette effervescence fait diversion en partie à la tristesse du poète et lui ressemble aussi par ses aspects contrastés, mêlant gaieté et mélancolie.

II) Un chant d’amour déçu

A) Le amoureux

- L’énonciation personnelle « moi » et l’adresse répétitive à la femme aimée « toi toi que j’ai tant aimée » placent résolument ce poème dans la tradition de l’.

- Le vocabulaire de l’amour y est présent : « amour", "aimée", "cœur", "mal aimé ».

- La ville en symbiose est le substitut du poète qui sanglote avec les orgues de barbarie et crie tout son amour avec les cafés.

- La litanie des chansons diverses de toutes les époques au dernier quintil « lais", "complaintes", "hymnes", "romance", "chansons » renvoie au titre du poème La Chanson du mal aimé. La diérèse dans « mé/lo/di/eux délire» insiste sur le caractère musical du poème et, associée à « délire », suggère une sorte de transe poétique. Les en [i] aux rimes des deux premiers quintils provoquent une stridence aiguë qui mime l’intensité de la souffrance du poète.

C’est bien d’un chant d’amour qu’il s’agit où le parcours dans Paris, avec des scènes mélancoliques, animées et même violentes dans leur excès de bruit et de lumière, serait autant de couplets exprimant le cœur torturé et contrasté du mal aimé.

B) Le mal d’amour

- L’expression de la douleur et de la passion douloureuse est imagée par la métaphore du feu et de sa brûlure : « lyre", "brûle mes doigts", " de l’électricité » ce qui est une manière originale d’adapter une image lyrique traditionnelle de l’amour.

- D’autres images de la douleur physique sont présentes comme « mes doigts » qui peut faire allusion à la « panne » d’inspiration d’où la pérégrination dans Paris pour y trouver un dérivatif ce qui va nourrir justement l’écriture du poète. Les « siphons » des cafés, malgré l’humour de la métaphore, connotent un Paris malade où « les cafés gonflés de fumée » semblent suffoquer et en même temps « » d’amour tout comme le mal aimé.

- L’échec amoureux est traduit graphiquement et métaphoriquement, d’une part par l’emploi de l’italique et d’autre part par l’image des fleurs qui « comme la tour de Pise ». Là encore, cette comparaison saugrenue apporte une touche de dérision, de sourire triste.

- Enfin, les figures féminines évoquées à la rime au dernier quintil qui vont de « reines » à « sirènes » en passant par « murènes » (poisson de mer très vorace, voisin de l’anguille) font évoluer l’image de la femme dans le sens de la dangerosité et rappellent aussi la légende de la Lorelei si chère au poète. Le poète se voit en « esclave » d’une femme-poisson qui lui file entre les doigts et qui l’entraîne dans le malheur.

Si la ville est en résonance avec le mal d’amour du poète et l’empêche de mourir, la tonalité finale est résolument triste et nostalgique et l’histoire du poète rejoint la légende élégiaque.

[(Conclusion) La et la modernité entrent en littérature avec Baudelaire et son Spleen de Paris. Mais si le poète des Fleurs du mal y fait un parcours philosophique et trouve l’énormité des villes « atroce », Apollinaire, lui, en est le promeneur sentimental et reconnaît à la ville sa beauté et sa capacité à absorber les peines. Errance musicale et flamboyante, La Chanson du mal aimé est renouveau poétique et éloge de la modernité. La réussite du poème vient du mélange harmonieux des thèmes lyriques traditionnels comme l’amour et la douleur et des évocations plus prosaïques de l’environnement urbain de la Belle Epoque. Des peintres s’emparent aussi du thème de Paris qu’ils représentent à la même époque, la faisant briller de tous ses feux électriques, comme dans Scène de rue à Paris (rue de la Madeleine) peinte par Antoine Blanchard.]