Texte écho : Bernardin de St Pierre : Paul et Virginie (1788)

 

 

Sur l’île de France (l’actuelle île de la Réunion) Paul et Virginie grandissent ensemble comme frère et sœur.

 

Cependant,  depuis quelque temps Virginie se sentait agitée d’un mal inconnu. Ses beaux yeux bleus se marbraient de noir ; son teint jaunissait ; une langueur universelle abattait son corps. La sérénité n’était plus sur son front, ni le sourire sur ses lèvres. On la voyait tout à coup gaie sans joie, et triste sans chagrin. Elle fuyait ses jeux innocents, ses doux travaux, et la société de sa famille bien-aimée. Elle errait çà et là dans les lieux les plus solitaires de l’habitation, cherchant partout du repos, et ne le trouvant nulle part. Quelquefois, à la vue de Paul, elle allait vers lui en folâtrant ; puis tout à coup, près de l’aborder, un embarras subit la saisissait ; un rouge vif colorait ses joues pâles, et ses yeux n’osaient plus s’arrêter sur les siens. […]

Dans une de ces nuits ardentes, Virginie sentit redoubler tous les symptômes de son mal. Elle se levait, elle s’asseyait, elle se recouchait, et ne trouvait dans aucune attitude ni le sommeil, ni le repos. Elle s’achemine, à la clarté de la lune, vers sa fontaine ; elle en aperçoit la source qui, malgré la sécheresse, coulait encore en filets d’argent sur les flancs bruns du rocher. Elle se plonge dans son bassin. D’abord la fraîcheur ranime ses sens, et mille souvenirs agréables se présentent à son esprit. Elle se rappelle que dans son enfance, sa mère et Marguerite s’amusaient à la baigner avec Paul dans ce même lieu ; que Paul ensuite, réservant ce bain pour elle seule, en avait creusé le lit, couvert le fond de sable, et semé ses bords des herbes aromatiques. Elle entrevoit dans l’eau, sur ses bras nus et sur son sein, les reflets des deux palmiers plantés à la naissance de son frère et à la sienne, qui entrelaçaient au dessus de sa tête leurs rameaux verts et leurs jeunes cocos. Elle pense à l’amitié de Paul, plus douce que les parfums, plus pure  que l’eau des fontaines, plus forte que les palmiers unis et elle soupire. Elle songe à la nuit, à la solitude, et un feu dévorant la saisit. Aussitôt, elle sort effrayée de ces dangereux ombrages et de ces eaux plus brûlantes que les soleils de la zone torride. Elle court auprès de sa mère chercher un appui contre elle-même. Plusieurs fois, voulant lui raconter ses peines, elle lui pressa les mains dans les siennes ; plusieurs fois, elle fut près de prononcer le nom de Paul, mais son cœur oppressé laissa sa langue sans expression, et posant sa tête sur le sein maternel elle ne put que l’inonder de ses larmes.

 

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